Le contentieux lié à la contamination à l’exposition au virus de la Covid-19 émane essentiellement des familles des personnes victimes, notamment celles résidant en EHPAD, mais également des salariés, syndicats, représentants de personnel soignant, scolaire ou plus généralement de citoyens qui estiment être victime du mauvais gestion de la crise sanitaire.
A ce jour, le contentieux est majoritairement de nature pénal, il s’agit de plaintes déposées pour homicide involontaire, blessures involontaires, mise en danger délibéré, abstention de porter secours et abstention volontaire de prendre les mesures permettant d’éviter un sinistre.
Sont visés les employeurs, supérieurs hiérarchiques, Maires, Préfet, Hauts fonctionnaires et même le Président de la République, qui bénéficient de l’immunité présidentielle.
La voie pénale est incertaine, et en tout état de cause beaucoup plus que la voie civile ou administrative saisie d’une demande indemnitaire.
On peut d’ailleurs s’étonner que le justiciable français, justiciable averti, ne se soit pas encore rué dans cette voie, mais cela pourrait ne plus tarder.
Un exemple classique de la vie quotidienne permet de caractériser le principe de la responsabilité et de l’indemnisation en Droit français, dont l’ampleur ne semble pas avoir pour l’instant effrayer le citoyen français qui n’a pas perçu le contentieux naissant ou à naître.
Les faits seraient les suivants.
Fin Juillet 2021, plus précisément après le 21 juillet 2021, et cette précision n’est pas anodine puisque le pass-sanitaire est entré en vigueur dans nombre de lieux et situations, en France, un événement sportif est organisé en plein air.
Il s’agit d’une structure à ciel ouvert, accueillant un événement sportif réunissant au moins 50 personnes.
À l’entrée les participants doivent donc justifier d’un pass-sanitaire, à savoir présenter un test PCR ou antigénique négatif de moins de 48 heures, une preuve qu’ils ont contracté le virus entre six mois et 11 jours ou un schéma vaccinal complet.
Ce pass-sanitaire permet d’accéder à l’événement mais surtout, mais aucun système n’est parfait, une fois dans l’enceinte que l’on pense sécurisée, d’ôter le masque pour ceux qui le souhaitent.
Or et à cet événement, il n’y aura aucun contrôle du pass-sanitaire mais une distribution de gel hydro-alcoolique à l’entrée.
Comme chacun Monsieur X discute avec de nombreuses personnes, explique à certaines qu’il est cas contact.
Vient le moment de s’installer à table, et l’ensemble des convives de l’agent contaminé le seront à leur tour et à cette occasion.
Le justiciable peut alors envisager, comme nombres de Français l’ont fait auparavant, de déposer une plainte pour mise en danger voire blessures involontaires s’il y a arrêt de travail, soins voire hospitalisation.
Or et bien que les Tribunaux français soient particulièrement engorgés en raison d’un manque patent de moyens, le Code Civil pose le principe de la responsabilité et de l’indemnisation, et s’avère beaucoup plus certain et favorable que la voie pénale.
I – Le régime de responsabilité.
L’article 1240 dudit Code dispose :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
L’article 1241 précise que :
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence ».
Le Droit français évoque « tout fait », il s’agit donc d’abord d’une action, qui n’exige pas la violation d’une règle de Droit mais d’un devoir ou obligation préexistante qui peut être une norme générale et abstraite de se conduire loyalement, avec prudence et diligence.
La négligence et l’imprudence pouvant être caractérisée par une abstention.
Il est fait référence à la notion bien connue des Juristes du « bon père de famille », quelle attitude aurait-il eu en pareilles circonstances.
Dans l’hypothèse envisagée, il y a pléthore d’exemples :
Acte positif : cracher au visage d’une personne, mentir sciemment sur son statut de cas contact ou de positivité à la contamination,
Abstention : ne pas porter son masque dans un lieu où il est obligatoire, et même dans un lieu où il ne l’est pas mais se sachant cas contact voire contaminé par le virus de la COVID-19, ne pas informer son interlocuteur de l’un ou l’autre de ces statuts ne pas prendre des mesures de distanciation et/ou priver ce dernier d’une chance de prendre ses distances.
Précision faite que la faute simple suffit.
La plus Haute Juridiction française est venue préciser qu’un fait autorisé par la Loi ou le Règlement peut engager la responsabilité de son auteur qui n’est pas dispensé lors de son accomplissement de l’obligation générale de prudence et de diligence [1].
Par exemple et en l’espèce, le Conseil Constitutionnel vient de censurer l’article 9 de la Loi relative à la gestion de la crise sanitaire et visant à créer une mesure de placement en isolement pour les personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la COVID-19 [2].
Cette mesure n’entrera donc pas en vigueur, et donc ne pas s’isoler ne saurait être constitutif d’une infraction, en revanche être positif et ne pas se comporter « en bon père de famille », en ne prenant pas les mesures nécessaires à éviter la contamination d’autrui, engagera la responsabilité civile de celui qui se sachant positif n’a appliqué aucune mesure de distanciation et de protection de l’autre qu’il soit un membre de la famille, un voisin, un collègue de travail, un client, un médecin, une personne assise à proximité dans un centre commercial, restaurants, cinéma, etc.
En revanche, l’élément intentionnel n’est pas exigé, pas plus que l’intention de nuire, mais ils peuvent être des éléments aggravants de responsabilité et donc d’indemnisation.
La faculté de discernement n’est pas non plus une condition, et l’acceptation des risques n’est pas opposable à la victime.
Les Français n’ignorent pas la responsabilité et le régime d’indemnisation découlant des expositions à la maladie ainsi que la contamination des citoyens en toutes circonstances, et notamment au travail, par la mise sur le marché de médicaments exposant à des risques de maladies mais aussi et surtout au sein d’un établissement de santé.
En effet, nul n’ignore les nombreux contentieux liés aux infections nosocomiales, et les indemnisations en découlant.
Mais au quotidien, nous venons de le voir, tout un chacun doit s’abstenir de causer un dommage à autrui, à défaut il doit l’en indemniser.
L’en indemniser comment ?
II – Le régime de l’indemnisation.
Ici ce sont encore les principes généraux du Droit qui s’appliquent.
Il faut indemniser tout le préjudice mais rien que le préjudice de l’ensemble des victimes, et elles peuvent être nombreuses, et leur préjudice tout autant.
Quant aux victimes il y a d’une part la ou les victime(s) directe(s), c’est-à-dire celle(s) que l’on a contaminée(s).
Les concernant la liste des préjudices à indemniser et celle du barème Dintilhac augmentés des divers postes créés par la Jurisprudence civile, allant de la journée d’incapacité de travail indemnisé entre 20 et 25 euros, en passant par la perte de revenus pendant l’arrêt travail, les dépenses de santé, les frais divers à savoir par exemple de transport, l’assistance par une tierce personne dans les cas les plus grave les frais de logement adapté, de véhicules adaptés, l’incidence professionnelle, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, d’agrément, sexuel, d’angoisse de mort imminente, etc.
Devant les Juridictions administratives les postes de préjudices sont plus circonscrits mais la Jurisprudence travaille ici également à atteindre l’indemnisation totale de la victime.
D’autre part, les victimes indirectes, à savoir les proches, qui vont souffrir à plusieurs niveaux, devront être indemnisés à raison de leurs préjudice économique, et par exemple quand c’est le conjoint qui est la victime directe, que l’état de celle-ci va nécessiter des dépenses, d’accompagnement, les souffrances endurées notamment psychologiques, etc.
Enfin, il y a les tiers payeurs qui, en vertu des dispositions de l’article L131-2 du Code des assurances, auront contre le responsable le droit d’agir afin d’obtenir l’indemnisation des sommes qu’ils ont avancées par sa faute.
Il s’agit des caisses de sécurité sociale ainsi que des mutuelles.
En toute hypothèse, lorsque le responsable d’un dommage corporel est identifié, les tiers payeurs ont un droit d’action à son encontre pour obtenir le remboursement des sommes avancées par sa faute.
Il en va ainsi de l’indemnisation perçue par une personne salariée ou indépendante à qui est prescrit un arrêt de travail, et qui va être pendant celui-ci indemnisé par une caisse de sécurité sociale, une mutuelle voire même l’employeur s’il assure le maintien de salaire.
Le recours de ces tiers payeurs ne s’arrête pas là et va concerner l’ensemble des soins, consultations et traitements de tous types, dont a bénéficié la victime et qui ont été pris en charge en tout ou partie par ces tiers payeurs.
Un journal économique a livré les résultats de son enquête mettant en exergue qu’une journée en soins intensifs est facturée 2 932 € en moyenne en région parisienne, et que, toujours en moyenne, les patients y restent 19 jours [3], soit déjà plus de 55 000 € à rembourser à la caisse de sécurité sociale, ou à la caisse de sécurité sociale ainsi qu’à la victime si sa couverture principale et/ou complémentaire l’a contraint à assumer une partie des frais.
En effet, mais c’est un aparté, cette crise a rappelé aux administrés français les règles d’exonération du ticket modérateur, contribution instaurée pour responsabiliser les patients et limiter les dépenses de santé.
En soins intensifs, il appert de cette enquête que le ticket modérateur de 20 % approche les 600 €.
Le risque est donc pour la personne contaminée, par malchance, par sa faute ou par la faute d’un tiers qu’elle ne pourrait identifier, d’avoir à assumer des frais médicaux extrêmement onéreux.
Pour conclure, le justiciable français pourrait être tenté de penser qu’il est peu probable qu’il ait à assumer les conséquences de sa contamination ou celle d’un tiers.
Nous venons de le voir, le ticket modérateur pourrait être une gélule difficile à avaler concernant notre propre contamination, mais surtout les cas où l’agent contaminant est identifié ne sont pas hypothétiques mais majoritaires.
A chaque fois que le transmetteur pourra être identifié, il faudra qu’il se demande puis qu’il prouve qu’il a pris les mesures nécessaires à éviter le dommage, qu’il s’est conduit en bon père de famille, qu’il n’a pas violé une règle, etc.
Les contentieux liés à la contamination au Covid-19 et son indemnisation pourraient exploser.
Sandra CORDERO, Avocat.
Notes de l’article:[1] Civ. 2ème, 14 juin 1972, D.1973.423, note Lapointe.[2] CCeil, 5 août 2021, N°2021-824 DC.[3] LesEchos, 5 août 2020, Solveig Godeluck.